Jean 1.1

 

 

right La construction de Colwell en Jean 1.1


Jean 1.1 affirme: ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος.27 Dans la dernière partie du verset, l'énoncé καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος a θεὸς pour nominatif attribut. Il est dépourvu d'article et apparaît devant le verbe. Il correspond donc a la construction de Colwell, sans pour autant devoir être nécessairement défini (puisque la règle de Colwell dit que le degré de définition est déterminé ou indiqué par le contexte plutôt que par la grammaire). La question est donc de savoir s'il est indéfini, qualitatif ou défini.

I. Un θεὸς indéfini?

Si θεὸς était indéfini dans ce passage, on traduirait par "un dieu" (comme le fait la Traduction du monde nouveau [TMN]). Une telle traduction aurait des implications théologiques de types polythéistes, suggérant peut-être que la Parole était simplement un dieu secondaire au sein d'un panthéon de divinités.
Les arguments grammaticaux en faveur d'un NA indéfini ici sont faibles. Le plus souvent, ceux qui optent pour cette solution (en particulier les auteurs de la TMN) le font sur la seule base de l'absence d'article. En faisant cela, ils se montrent assez peu cohérents, ainsi que l'a montré R.H. Countess :

On trouve 282 occurences de θεὸς sans article dans le Nouveau Testament. Dans la TMN seize de ces occurences sont traduites par "un dieu", "dieu", "dieux" ou "divin". Seize occurences sur 282. Cela signifie que les traducteurs n'ont été fidèles à leur principe de traduction que 6% du temps.
La première section de Jean - 1.1-18 - fournit un exemple très clair du dogmatisme arbitraire de la TMN. Θεὸς apparaît 8 fois - aux versets 1, 2, 6, 12, 13 et 18 - et ne porte un article qu'à deux reprises - v.1 et 2. Pourtant la TMN traduit six fois par "Dieu", une fois par "un dieu" et une fois par "le dieu".28

Si l'on étend la discussion aux autres termes sans articles dans le prologue de Jean on peut constater d'autres incohérences de la TMN. La Traduction du monde nouveau traduit θεὸς par "un dieu" sur la base simpliste de l'absence d'article. Celle-ci est clairement insuffisante. Si l'on suivait le principe "absence d'article = indéfini", ἀρχῇ devrait être traduit par "un commencement" (1.1, 2), ζωὴ devrait être traduit par "une vie" (1.4), παρὰ θεοῦ par "d'un dieu" (1.6), Ἰωάννης par "un Jean" (1.6), θεόν par "un dieu" (1.18), etc. Pourtant la TMN ne traduit aucun de ces noms sans article avec un article indéfini. On ne peut que soupçonner d'importants biais théologiques dans la traduction du verset 1.
D'après l'étude de Dixon, si θεὸς était indéfini en Jean 1.1, il s'agirait du seul nominatif attribut préverbal sans article de l'évangile de Jean dans ce cas. Bien qu'éliminer totalement cette possibilité serait excessif, il est très clair que le sens indéfini est le plus rarement attesté pour un nominatif attribut préverbal sans article. Il s'agit donc grammaticalement d'un sens improbable. Quant au contexte, il est loin de favoriser une telle interprétation puisqu'il est dit que la parole existait au commencement. Ainsi, tant en termes grammaticaux que contextuels, il est hautement improbable que Jean ait voulu décrire le Logos comme "un dieu". Finalement, la théologie de l'évangéliqte lui-même milite contre cette idée. Le IVe évangile exprime en effet une très haute christologie, au point que Jésus-Christ est clairement identifié comme étant Dieu (cf. 5.23: 8:58; 10:30; 20:28, etc.).

II. Un θεὸς défini?

Depuis Colwell, les grammairiens et les exégètes ont considéré que θεὸς était défini dans ce passage. Ils se sont cependant souvent basés pour cela qur une mauvaise compréhension de la règle de Colwell. On a cru en effet que le règle affirmait qu'un NA préverbal sans article est généralement défini (plutôt que l'inverse). Mais la règle de Colwell dit plutôt qu'un NA qui semble défini d'après le contexte et qui précède un verbe sera généralement dépourvu d'article. Si l'on tente de voir comment cette règle pourrait s'appliquer ici, on peut dire que la précédente mention de θεὸς (en 1.1b) possède un article. Pour cette raison, si le terme θεὸς désigne la même personne en 1.1c, les deux seront définis. Bien qu'il s'agisse d'une possibilité grammaticale envisageable (moins probable toutefois qu'un sens qualitatif), il n'y a pas d'indice très fort en ce sens. La grande majorité des nominatifs attributs préverbaux sans article définis sont monadiques, font partie de constructions au génitif ou sont des noms propres. Aucun de ces critères ne se vérifie ici, ce qui diminue la probabilité d'un θεὸς défini en Jean 1.1c.
Par ailleurs, affirmer que θεὸς serait défini en 1.1c revient à dire que s'il avait été après le verbe il aurait eu un article. On aurait donc eu une relation d'égalité avec λόγος ("La Parole"="Dieu" et "Dieu"="La Parole"). Le problème avec cela est qu'en 1.1b θεὸς désigne vraisemblablement le Père. Si l'on dit que θεὸς en 1.1c c'est la même personne, on en vient à supposer que "la Parole était le Père".29 Comme les plus anciens grammairiens et exégètes l'ont montré, on tendrait là vers le sabellianisme ou le modalisme.30 Le IVe évangile est pourtant loin d'être l'endroit du Nouveau Testament où l'on s'attendrait le plus à trouver ce genre de tendance.

III. Un θεὸς qualitatif?

Le sens le plus probable pour θεὸς est un sens qualitatif. Cela est vrai à la fois grammaticalement (puisque la plupart des constructions de Colwell tombent dans cette catégorie) et théologiquement (tant d'après la théologie du IVe évangile que d'après celle du Nouveau Testament dans son ensemble). Il se fait un équilibre entre la divinité de la parole qui était déjà présente au commencement (ἐν ἀρχῇ... θεὸς ἦν [1.1]) et son humanité qui est venue par la suite (σὰρξ ἐγένετο [1.14]). La structure grammaticale de ces deux affirmations peut être mise en parallèle: toutes deux mettent l'accent sur la nature de la Parole plutôt que sur son identité.

Source : Grammaire Grecque, Manuel de-syntaxte pour l'exegèse du Nouveau Testament (Daniel Wallace - Excelsis), page 294, page 295, page 296+ Cover

 

 


27. Cf. aussi Mc 15.39 (et l'article de Harner) pour un texte également théologiquement significatif.

28. R.H. Countess, The Jehovah's Witnesses' New Testament. A Critical Analysis of the New World New World translation of the Christian Greek Scriptures, Philipsburg, Presbyterian & Reformed, 1982, p. 54-55.

29. Cela ne signifie pas que dans un contexte donné jésus ne peut pas être identifié avec ὁ θεὸς . En Jn 20.28, par exemple, où l'évangile trouve son apogée dans la confession de Thomas, Jésus est appelé ὁ θεὸς. mais dans ce contexte-ci on ne trouve rien qui l'identifiait avec le Père.

30. Avanat 1933 les commentateurs du Nouveau testament considéraient θεὸς comme qualitatif. Par exemple, dans son commentaire sur Jean, Wescott affirme que ce terme devait "nécessairement apparaître sans article (θεὸς et pas ὁ θεὸς) puisqu'il décrit la nature de la Parole sans identifier sa personne. Ce serait du pur sabellianisme de dire que "la Parole était ὁ θεὸς".
Robertson, Grammar, p.767-768 : "ὁ θεὸς ἦν ὁ λόγος (une proposition d'égalité) aurait été du pur sabellianisme [...]. L'absence de l'article ici est voulue et essentielle au message du texte."
Le commentaire de l'évangile par Lange va dans le même sens : "Θεὸς sans article désigne l'essence divine, ou l'idée générique de Dieu par contraste avec l'homme et l'ange; pareillement, σὰρξ désigne au v.14 l'essence ou la nature humaine du Logos. Un article devant θεὸς aurait supprimé la distinction des personnes et confondu le Fils avec le Père."
Henry Alford quant à lui fait le commentaire suivant : "L'omission de l'article devant θεὸς n'est pas qu'un simple usage : il aurait pu ne pas être présent, quelle qu'ait par ailleurs été la place des mots dans la phrase. ὁ λόγος ἦν ὁ θεὸς aurait complètement détruit le sens de λόγος. θεὸς doit être compris comme signifiant Dieu, dans sa substance et son essence, et pas ὁ θεὸς, "le Père" en tant que personne [...]. Tout comme dans σὰρξ ἐγένετο (Jn 1.14) σὰρξ exprime l'état dans lequel la Parole divine est entrée par un acte fini, θεὸς dans θεὸς ἦν exprime l'essence qui était de toute éternité - il était avec Dieu (le Père) - et il était lui-même Dieu."
Martin Chemnitz affirmait en latin : θεὸς sine artic. essentialiter, cum artic. personaliter. ("θεὸς sans article se rapporte à l'essence, avec article à la personne.")
Luther résume ainsi: "la Parole était Dieu" est contre Arius; "la Parole était avec Dieu" contre Sabellius.